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Le blog de HP
22 décembre 2008

sillage

Premier jour d'hiver, un dimanche.
Un dimanche cotonneux et doux, un dimanche de temps arrêté.
Le château de Versailles ne respire plus comme avant, la grille Albanel clôt l'entrée à la cour de marbre, partout les guichets multipliés ont fragmenté l'immense espace où la promenade est découpée en promenades.
Ne nous attardons pas sur l'injure marchande de Koon, pas plus que sur l'or scintillant de la ferronnerie  dont on attend du temps qu'il en tempère l'éclat.
Curieuse constatation, là où la délicatesse d'une fin de régime assourdissait les ors, la cinquième République éprise de brillant les avive.

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Quelle différence si on compare les tonalités de cet ouvrage à la rampe de l'escalier principal du Petit-Trianon.

Cette nouvelle grille est, pour moi, un dilemme, elle serait l'exacte reconstitution d'un "barrière" qui aurait existé avant la Révolution pour certains, elle n'aurait été créée selon d'autres que dans une optique de rendement  en multipliant les lieux d'accès (en s'appuyant néanmoins sur des plans retrouvés mais jamais réalisés).
Il faudra que je me penche sérieusement sur la question...

Mais laissons-là le grand édifice et rendons-nous à ce qu'il est désormais convenu d'appeler le "domaine de Marie-Antoinette"  comme le proclament les panneaux aux lettres, effet Coppola oblige, de couleur lilas.

Ces quelques réserves s'évanouiront vite tant il est vrai que de ces lieux se dégage une indicible sensation de lieu privilégié, retranché du reste du monde, une bulle de poésie nostalgique marquée à jamais par la fantaisie d'une reine éprise de liberté.

Le temps s'y prête, un ciel hésitant entre plomb et argent découpe dramatiquement les branches nues des arbres et voile d'une prémisse de fin les fabriques du Hameau.
Les maisons édifiées par Mique selon des dessins d'Hubert Robert cachent leur délabrement intérieur derrière leurs façades, dont quelques unes ont été restaurées avec soin.
Les sphinges du Belvédère, moussues et énigmatiques regardent vers des ailleurs indécelables, les eaux de l'étang bouillonnent de carpes quémandeuses, et, j'ai souvenir, Madame, d'avoir appris que vous aimiez régaler vos convives de ces poissons au fort goût de vase.

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Et votre maison, Madame, pourquoi les intempéries se sont-elles ainsi acharnées sur la gracieuse courbe de son escalier ? Portiez-vous la dernière fois que vous le gravîtes des mules au talon cambré ou des souliers de satin au venez-y-voir brodé ?
Je pense à Samain, "Les mousselines ne sont plus, ni les flûtes, ni les violes qui soupiraient sous les coroles des sons plus doux que des paroles..."
Ruines d'un rêve, faux refuge contre les réalités qui, elles, finiront toujours par s'imposer.

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Des barreaux semblables à ceux d'une prison interdisent l'accès à l'antre de votre grotte  de laquelle  l'émeute vint vous déloger ce dernier jour de Versailles. Le lieu douillet, jonché de mousse moelleuse est aujourd'hui un cloaque humide.

Heureusement, Madame, le petit château offert par l'affection d'un époux moins lourdaud qu'on ne se plaît à le dire, vient d'être rendu, avec infiniment de goût et d'authenticité, à sa fraîcheur d'antan. Remercions le fabricant de montres Bréguet qui, quelque deux-cent-cinquante ans après avoir conçu pour vous la montre la plus étonnante qui soit et que vous n'eûtes pas le temps de porter, a financé cette résurrection.

Le petit édifice atteint la perfection dans ce nouveau goût "grec" voulu par la Marquise de Pompadour en réaction au rococo bientôt démodé ; la grammaire décorative vous plût, Madame, dans sa gracieuse rigueur déja entièrement "Louis XVI" et, à part votre chiffre parmi les volutes de la rampe d'escalier, vous n'y changeâtes rien, ou si peu.
Mais là où s'affirmerait l'élégante sûreté  de voutre goût sera dans l'ameublement de ce séjour privilégié où vous étiez enfin vous et non la Reine.
Que vous êtes encore, Madame, présente dans la symphonie de ce vert hésitant entre le céladon et l'amande ainsi que dans ce mobilier voulu par vous.
On pourrait croire que vous venez d'abandonner votre clavecin et que la harpe n'attend pour meubler l'air que le frôlement de vos doigts délicats.

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Si ce meuble par son équilibre et sa légèreté vous est proche dans l'application d'un répertoire néo-classique et fleuri que vous prisiez tant, nous avons là aussi, Madame, les témoins d'innovations qui, sans aucune référence pré-existante, participent de vôtre goût personnel dans un style totalement neuf que nous pourrions qualifier de "Marie-Antoinette" : la rigueur antiquisante et quasiment austère d'un mobilier de salle à manger dessiné par Hubert Robert et exécuté par Jacob  ainsi que le champêtre décor de barbeaux répandus comme sous le souffle d'un zéphyr printanier sur les tissus de votre chambre ou les porcelaines de vos vaisselles.

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L'administration n'ouvre votre domaine qu'à partir de midi, Madame, merci de nous avoir accompagnés avec l'exquise et attentive attention qui fut toujours la vôtre, mais, vous nous pardonnerez, Madame, la faim se fait sentir et nous avons retenu une table dans ce bistrot au pied du Château et auquel nous sommes toujours fidèles, le Limousin, qui, pas plus que nos estomacs ne saurait attendre.
Sur le chemin du retour, un cygne glisse silencieusement enfermé dans son rêve, l'aristocratique nonchaloir de son sillage est, Madame, comme une réminiscence du vôtre.

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Commentaires
H
@ Bruno : Eh bien Bruno, ne te le dis plus, vas-y, mais attention, pas d'imprudences, n'emprunte pas l'escalier.<br /> @ Jeanne : Je t'assure que tu n'as rien à craindre de la part de la Reine en terme de concurrence ; vas-y donc, tu verras comme elle reçoit bien ;-)<br /> @ Jerem : Mais si des fois ils restauraient dans le même respect que le Petit-Trianon ???<br /> @ Jardin B : Oui cher jardin, parmi ces impeccables résurrections et ces malencontreuses interprétations, la grâce mourante de ces quelques marches nous dit bien la vanité des choses.<br /> @ Nicolas B : Et moi, cher Nicolas, je vous souhaite une belle lumière captivée par votre canal, et rien que pour vous. Soyez au mieux.<br /> @ Laurence : mais cette venue, délicate et furtive, en mon domaine n'est pas sans évoquer la démarche ailée d'une Reine...<br /> @ Marie : Tu as raison, chère Marie, les objets gardent en eux la trace de leur origine, les souvenirs trahis le sont à jamais.
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M
Les outrages infligés aux souvenirs sont encore moins supportables que ceux appliqués aux objets.
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L
Promenade d'une rêveuse solitaire qui pense à 2009 et à tant de promenades à venir...Bonne année de musicales envolées...
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N
Quelques ronds de plume pour vous souhaiter, cher Henri-Pierre, de bien gourmandes fêtes de fin d'année en compagnie de vos proches.
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J
Chaque fois que tu parles de "ta" reine, tes mots sont, au sens propre du terme, un enchantement, car ils maintiennent sous un charme puissant même le lecteur le moins naturellement familier de l'univers que tu décris.<br /> Je ne sais si la reconstruction de ce que tu nommes "grille Albanel" s'appuie sur un quelconque fondement historique, mais ce qui est certain c'est qu'elle sert fort à propos le projet de Versaillesland qui semble motiver les administrateurs de ce domaine depuis bien des années : faire du fric par tous les moyens, que ce soit en multipliant les guichets ou en frayant avec un "artiste" créé de toutes pièces par les marchands d'art, Jeff Koons.<br /> Ce que tu livres, par le mot comme par l'image, des restaurations de la maison de la Reine laisse entrevoir une toute autre logique, et c'est tant mieux. Le soin apporté à un travail de reconstitution que l'on imagine minutieux et informé participe sans doute au sentiment d'intimité et de présence qui baigne les lieux et que tu as su transmettre avec beaucoup de finesse. Je ne sais pourquoi, mais ce sont tes clichés de l'escalier qui m'ont le plus touché, peut-être parce que la marque du temps y est la plus sensible et qu'ils disent avec prégnance la fragilité des lieux, des règnes et des reines.<br /> Merci pour cette promenade en nostalgies et en émerveillements.
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