Maurizio
Lundi dernier, avant de quitter Charmes, mes yeux erraient distraitement sur les rayonnages d'une bibliothèque que nous venions de réaménager ; je redécouvrais une collection de livres d'art italiens parvenus par la poste en 1986 et consacrée aux "plus beaux musées".
La carte qui accompagnait l'envoi, toujours insérée dans le premier ouvrage, s'achève par ces mots : "Ciao Henri, ciao Charles".
Elle est signée Maurizio.
J'ai connu Maurizio à Casablanca, ce prince florentin et sa femme, la très-belle et très-élégante Aimée éblouirent le jeune coopérant impécunieux que j'étais alors.
Pendant six ans un flux étrange de charme réciproque tissa des liens d'amitié réelle, j'appris même à jouer au bridge afin de traverser bien des nuits avec eux ; il suffisait que je suggère une envie de fête pour que mes généreux amis l'organisent.
Maurizio avait deux passions : l'étude et la musique. Que je paierais cher pour m'ennuyer comme alors à écouter tel quatuor de Beethoven ou telle cantate de Bach dans trois ou quatre versions différentes soumises à critique ! Je périssais d'ennui mais me lovais avec bonheur dans cette atmosphère de culture et d'affection comme je n'en ai plus jamais retrouvé depuis.
Et puis je rentrai en France, quelques escapades à Casablanca, quelques voyages à Paris d'Aimée et Maurizio entretenaient, en plus des échanges de courrier, la ferveur de cette amitié.
Et puis, la vie allant, Maurizio eut une attaque cérébrale, il désapprit le lire et ne voulut plus écouter de cette musique si passionnément aimée parce qu'elle le renvoyait aux temps d'avant, au temps de lui-même...
Aimée et Maurizio s'installèrent à Biarritz, nous voyons Aimée régulièrement mais Maurizio jamais, il ne veut pas altérer l'image qu'il a imprimé dans nos esprits et nos coeurs, il se soustrait, fort de ce noble orgueil si loin de toute vanité.
Je viens de recevoir un appel téléphonique d'Aimée en larmes ; lundi, dans la soirée, Maurizio lui a pris la main, la lui a serrée fortement, l'a fixée avec intensité et s'en est allé.
Aimée a senti, peu à peu, la main restée dans la sienne devenir froide.
Quelques heures avant la carte de Maurizio me revenait inopinément entre les mains.
Quand je vous dis que je crois pas au hasard.
Mon Dieu, que j'ai de la peine.