Faux palimpseste
Les cieux de Charmes font encore des sourires bleus, mais le cri nu du grand frêne dont la cime est toujours une des premières à se dépouiller, rappelle que le temps dit beau n'est plus, nous sommes en sursis et la fuite de l'avion qui strie le fond du décor est bien là pour nous le rappeler.
Très vite, d'ailleurs, pressé par l'appel de plus en plus précoce de la nuit, le soleil, désespéré, se jette dans l'étang ; il ne reste plus pour briller sur les sombres traînées nuageuses de la nuit tombée que le halo quasiment immatériel des lanternes du perron.
Le temps des lumières se meurt, vient celui des frimas et des suaires de neige.
Chaque arbre vit son engoudissement selon ses rythmes propres, si les marronniers bientôt suivis des frênes abandonnent leur vêture chamarrée, le hêtre pourpre prend la saison à rebrousse poil, avant de roussir, il verdit comme pour un mensonge de printemps.
Le majestueux tulipier de Virginie se bigarre de jaunes et de verts compromis de fauve, mais, le genko-biloba résiste encore, toujours vert, il attend la bascule définitive de la saison pour nous éblouir de ses ors pâles et uniformes.
L'automne entoure la maison, entre dans la maison en prolongeant de ses chatoiements les vues qu'offrent les hautes fenêtres, l'épine royale, elle, perle de ses milliers de gouttes de sang une célébration fastueuse de la Passion de la Nature.
La chute est déjà là...
Cependant, la nostalgique annonce des endormissements à venir a été démentie par l'irruption à Charmes de quatre jeunes musiciens qui, non contents d'exercer leur art avec la grâce d'un don de l'âme, ont été les exemples incontestables de la richesse d'une jeunesse rebelle au sens propre du terme car résistant par la douceur, la sensibilité et l'intelligence de leur travail, à toutes les sollicitations frelatées et vulgaires dont notre époque est si prodigue.
Je les remercie de ce message d'espoir inscrit dans la perspective de la joie de mes retrouvailles, dès la semaine prochaine, avec mes étudiants.
Une saison meurt, c'est la rentrée, colorions-la d'espoir.
Mais encore : Jardin B nous a donné une émouvante preuve d'amitié en relatant avec le talent que nous lui connaissons tous cet événement auquel il assistait, si je parle de palimpseste c'est parce que mon billet se superpose au sien puisque venu un jour après, si je dis "faux" palimpseste c'est parce que, chacun de son côté, avait ressenti le besoin de vous parler de cet automne de Charmes.