Le quatuor du Nil-IV
LE NIL DES DIEUX
De Karnak à Assouan les temples se succèdent, impressionnants par leur taille et surprenants par la spiritualité qui s'en dégage encore ; ne craignez rien, je ne vous infligerai pas ici un catalogue touristique ce n'est pas la vocation de cet almanach des émotions...
Je veux simplement dire à quel point ces édifices dressés vers l'infini et baignés des chants des muezzins créent une chaîne ininterrompue dans une évolution sans reniements.
Bas-reliefs et sanctuaires rendent presque palpables les défilés religieux de l'Opet, où les barques sacrées de la triade divine Amon-Râ, Moût et Khonsou se rendaient visite aux sons mélodieux des musiciennes du temple, en présence de Pharaon divinisé et sous l'inflexible autorité des prêtres.
Oui, grand était le pouvoir du clergé avec lequel Pharaon devait composer ; un seul osa s'affranchir des prêtres d'Amon, ce fut Akhenaton, et cette parenthèse de pouvoir politique indépendant fut vite abolie.
Mais qu'importent les prétentions du clergé qui ternit toujours l'Idée au service de laquelle il se dit mais qu'il utilise en réalité à son service. Permanence des religions corrompues par la soif de domination...
Fi des corrupteurs, la foi sincère des vrais croyants a imprégné les murs de ces édifices au point de la rendre palpable, bouleversante, et c'est cela qui vraiment compte.
A Louksor, adossé à son pilône, face à l'obélisque orphelin de son jumeau transporté place de la Concorde, Ramsès II regarde le dromos bordé de sphinx qui conduira la théorie à Karnak, cette barque reconstituée à Edfou permet d'imaginer celles que les hauts dignitaires du clergé portaient surs les épaules, des masques d'or aux attributs des dieux resplendissant sur leurs visages suscitant la terreur sacrée, panique, parmi ce peuple qu'ils exploitaient.
Imperturbables, toujours intenses et présents, les dieux et pharaons divinisés de l'ancienne Egypte, leur bouche close sur l'Indicible parlent de toute l'intensité de leurs yeux fardés de khôl et d'antimoine sur ce peuple du Nil aux gestes millénaires. Les canons de représentation des corps divins ou non, de par leur extrême stylisation, échappent à toutes les époques, l'art Égyptien a su atteindre l'intemporel nul ne sachant la mesure de l'éternel.
D'edfou à Deir El Bahari, de Kom Ombo à Philae, les cartouches ovales, souvent usurpés, disent la toute puissance des glorieux monarques dont les destins individuels convergent pour l'expression la plus durable qui ait jamais existé du symbole théocratique.
Entre les anciens dieux et Allah, l'Egypte des coptes fut chrétienne, nous avons des leçons à prendre dans un pays où la construction d'une mosquée, aussi modeste soit-elle, suscite des polémiques : à Assouan une immense cathédrale chrétienne fut érigée il y a cinq ou six ans, d'une esthétique discutable il ne m'a pas paru nécessaire d'en capturer l'image, mais en revanche la petite église orthodoxe de Daraw émouvante par sa simplicité et l'expressionisme naïf de ses imageries constitua une halte de doux souvenir.
Les saints de l'iconostase aux couleurs de chromo n'ont rien à envier au pittoresque des tableaux de la nef comme cette saint-sulpicienne noce de Cana, le tout sous l'oeil bienveillant de cette mignonne Vierge Marie.
Un saint, inconnu et incongru par son clin d'oeil, m'intrigue, est'il complice ou ne veut-il voir que la moitié des turpitudes du monde ?
En tout cas, les prosternations devant les reliques de notre guide et de notre intendant disent leur appartenance à cette religion.
Le voyage prend fin, demain nous détricotons l'itinéraire qui nous amena ici, je veux comme sourire d'adieu du pays du Nil, garder ces sourires d'enfants.
Nil des eaux, des terres, des hommes et des dieux, mais aussi Nil de partout, cours du Nil des temps qui fuient, je reviens à Charmes où l'automne bien avancé nous offre, sous son ciel pommelé, ses fruits et ses couleurs et où, sous le gravier, une souche qui n'en finit pas de pourrir offre la splendeur indésirable des champignons qu'elle nourrit.