Le quatuor du Nil-III
LE NIL DES HOMMES
Le chiffre sept m'a toujours paru de bon augure, ils étaient sept de Thèbes, à présent Louksor, à faire de notre voyage un parcours sans aucun souci.
Quatre jeunes matelots grimpant aux mâts avec une agilité inouïe et élaborant avec maestria les noeuds les plus complexes sous l'égide du capitaine Mustapha, et aussi le tandem Intendant-Cuisinier grâce auxquels chacun des trois repas était attendu avec une impatience à la hauteur de leur savoir-faire ; et enfin notre guide, notre compagnon, Tamert à l'immense culture aux limites repoussées à l'extrême par un amour et une fierté intenses pour la culture de son pays.
Si l'homme du Nil est, nous l'avons vu, un homme de l'eau, c'est aussi, et avant tout, un homme de la terre.
Le travail intense s'organise autour des séguias qui répartissent au plus loin la manne liquide ; nombreux sont les animaux qui accompagnent la vie domestique, quelques chiens maigres et alertes, des vaches efflanquées souvent, des moutons à l'inhabituelle toison de cuivre foncé, des buffles paresseux vautrés dans les bords fangeux et des ânes à foison dont une espèce assez particulière à la robe blanc d'argent.
Les femmes aux longues tuniques portent leur charge sur la tête avec la grâce souveraine d'une Nefertiti supportant le poids de sa tiare.
Les longues et majestueuses gallabiyas des hommes ne les gênent nullement dans leurs diverses activités.
En remontant vers Assouan l'idylle se transforme en tragédie, la politique des grands barrages a certes régularisé le cours du Nil, mais, en aval, l'impétuosité des eaux libérées des retenues ne permet plus aux limons fertiles de se déposer et on recourt massivement aux engrais chimiques, en amont la Nubie a payé un lourd tribut qui a vu ses terres cultivables immergées, la population est passée en un demi siècle de dix millions environ à trois seulement.
Finies les chasses aux crocodiles disparus et réfugiés au lac Nasser, maigres et pauvres sont les cultures restantes, les visiteurs sont harcelés par des femmes vendeuses d'"objets artisanaux".
Combien la "modernité" peut être pour certains cruelle !
Mais laissons-nous porter par la magie du fleuve, perdons conscience aussi et laissons-nous bercer la vue par ces scènes de repos qui entrecoupent d'indolences les activités du jour
La tradition toujours vivace dans ces campagnes, contrairement aux villes plus ouvertes, fait que les sexes demeurent toujours séparés.
Et bien sûr les yeux traînent, mon discret petit appareil photographique se fait voleur de visages pour se remémorer encore l'élégance et la retenue de ces femmes si belles qui de leur simple passage ridiculisent ces quelques occidentales aux exhibitionnismes tapageurs et vulgaires.
Rieuses ces jeunes filles font miroiter les broderies de leurs parures à la lumière du soleil, un jeune couple se conte fleurette et ce nautonier de Philaé a dérobé aux bas reliefs des temples sa bouche au ferme dessin ourlé.
Oui, ce somptueux profil est celui des dieux de l'Egypte...