Cycles
Et si l'on mesurait le temps à l'aune des bouquets ?
Lors du dernier retour à Charmes, les pivoines avaient pleuré de toutes leurs pétales leur mort annoncée, le rouge somptueux et fragile auréolait le pied du guéridon où quelques jours auparavant les fraîches corolles gorgées de lumière exhalaient leur discrète et pourtant persistante fragrance.
Allant à rebours de la séduction mortifère des agonies florales, Charles a élaboré une nouvelle composition très "bouquet de maison de famille".
Les tiges élégamment lasses peinent à retenir la loudeur des têtes écarlates et deux boules de viburnum à la blancheur nivéenne sont venues donner de la profondeur à la sourde matité des pivoines.
L'allégresse d'une nouvelle jeunesse enchantait de nouveau le haut de la sellette.
C'était avant-hier.
Ce matin, sur fond ouaté de pluie, l'inéluctable s'accomplissait.
Nous étions pourtant prêts à bercer notre esprit d'une tentation d'harmonie durable.
La soirée d'avant hier fut consacrée à la vision d'un film en boîte : "Ma Mère" de Christophe Honoré d'après le roman de Georges Bataille.
Le thème est connu de cette mère qui, ayant fait de la perversion sa ligne de vie, initie son fils de dix-sept ans à toutes les turpitudes avant de mourir par lui, dans une étreinte hors-nature poussée jusqu'à l'extrême.
Je dois avouer que le film m'a passablement ennuyé, les jeux pervers et convenus d'une bourgeoisie désoeuvrée sur fond d'Ibiza terriblement conventionnelle à force de se poser en parangon de toutes les débauches m'assomaient.
Mais bon, restons les yeux sur l'écran, après tout nul ne se demande comment Phèdre arrive à payer son loyer ou si Antigone a financé les eaux lustrales du rite hors la loi de ses propres deniers ou sur ceux de sa liste civile.
Revenons donc à notre propos, la vulgarité est souvent plus que frôlée, il n'aurait manqué qu'une érection assumée pour en faire un spectacle X ; Louis Garrel traverse le film, entre élans mystiques et orgasmes, dans une nudité tellement complaisante que nous sommes aux portes de l'exhibitionnisme.
Mais Louis G est beau, d'une blancheur diaphane et conquérante et donc, agréable à regarder ; et puis, et surtout, il y a Isabelle Huppert qui irradie de tous ses désarrois et de sa distinction parfaite un peu à contre-emploi car, trop cérébrale, sa perversité n'a rien de charnel. Je ne sais si Honoré l'a voulu ainsi, mais le venin corrosif de ces incandescences glaciales n'en est que plus profond.
Et puis une nuit est passé et puis des heures et encore une autre nuit, et l'histoire proposée est toujours dans ma tête insideuse et tenace.
J'ai compris : le cycle idéal de la vie est tout entier contenu dans cette étrange narration : mourir dans le sang par celui à qui ont a donné la vie dans le sang. Cette mort-renaissance est comme un retour à l'oeuf primitif, promesse de vie inhérente à chaque mort.
Plus aimable, le cycle des caprices d'une reine déroule ses phases métronomiques sous le toit de Charmes.
Des familiers qui se reconnaîtront ici ont, lors de leur dernière visite, fait don à marie-Antoinete d'un collier et de deux châles ; pour le collier il n'y aucun problème, il n'y en a qu'un, mais pour le fichu, je n'aurai qu'un seul mot : fichu fichu ! car lorsqu' Elle arbore le rose elle veut le bleu, et vice versa.
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Et vous, lequel préférez-vous ?
Il faut tout de même mettre fin à ce cycle.