Le petit tailleur outremer
Marrakech, ses séduisantes sollicitations des sens et l'innocente rouerie des regards qui zèbrent la paresse des déambulations...
Mais je n'ai pas l'âme aux exotismes, une image diffusée par la presse il y a deux ou trois ans est reprise par Le Nouvel Observateur, se superpose en palimpseste à toutes mes pensées, me hante et me révolte ; la voici :
Cette jolie jeune femme au tailleur couleur bleue d'outremer, accusée de meurtre, va être exécutée, là, immédiatement, d'une balle dans la nuque.
Une corde entoure son cou délicat, et, fortement tirée en arrière, comprime sa gorge l'empêchant de proférer le moindre mot.
Nous sommes en Chine, c'est loin, outre bien des mers...
La femme qui va mourir est solidement maintenue par de jeunes militaires ; leur implacable séduction glaciale a la grâce vénéneuse des Anges de la Mort ; inhumains, ils continueront à vivre après que les yeux fermés de la dame au tailleur couleur outremer aborderont d'autres rivages, outre les mers de la vie terrestre.
Elle ne peut rien dire, on lui a refusé toute possibilité de s'indigner ou bien de demander grâce, de se répandre en injures ou d'accepter dignement son sort ; voudrait'elle demander pardon ou crier son innocence bafouée ?
Nul ne le saura jamais.
Et cet élégant tailleur sous lequel bat encore un coeur, fut'il acheté en confection ? Et dans ce cas j'imagine la complaisance du regard de la coquette sur les miroirs de la boutique de mode.
Mais peut-être ce vêtement fut'il fait sur mesures par une couturière experte ? j'imagine les scènes d'essayage, le difficile choix de la longueur de l'ourlet et les polémiques autour des pinces qui devaient donner à l'étoffe la douceur d'une caresse sur le corps.
Mais, si ça se trouve c'était un tailleur-pantalon.
Pour l'heure le soin mis par l'accusée à paraître à son avantage devant les jurés est nié par la brutalité de la scène qui a bousculé l'ordonnancement du col.
Fut elle ou non coupable du forfait dont on la charge, cette jeune personne au teint de porcelaine ? Dans ce cas quelles circonstances poussèrent la jolie femme à supprimer une vie ? La jalousie, la vengeance ou la réparation d'un dommage ?
Pourquoi ne l'a t'on pas laissé seule, face à elle même, pour dérouler à l'envers le fil de sa vie et comprendre ce qu'elle a fait ?
Voilà une justice qui, la rendant à elle-même, aurait rendu de la dignité à tous les acteurs du drame, y compris l'être assassiné.
Qui peut justifier une "justice" qui sanctionne en répétant l'acte sanctionné ?
Mais, est elle vraiment une meurtrière la dame à la frange impeccable, la dame au tailleur bleu d'outremer ? Tellement de fausses accusations sont le lot quotidien dans ces régimes assis sur la négation des libertés...
Depuis longtemps le frêle corps a été rendu à la terre, à moins que ses yeux ou bien ses reins ou quelque autre organe aient fait l'objet d'un effroyable commerce dont seules les geôles Chinoises connaissent le secret.
La dame au tailleur outremer me hante, je la laisse faire, peut être celà lui rend'il un peu d'une vie trop tôt achevée dans l'effroi et la brutalité.
Vraiment, peut-on cautionner un tel système ?