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Le blog de HP
3 octobre 2007

Petit chat récessif

D'argent et d'ouate légère, Paris, dans sa tiédeur moite, offre aujourd'hui l'un de ses plus beaux visages.
La tour Saint-Jacques, depuis de nombreuses années soustraite à nos regards derrière un invraisemblable échafaudage de métal et de bâches, a choisi, sûre de son effet, cette toile de fond, pour progresser à pas comptés dans le lent effeuillage qui peu à peu nous la restitue, fière de sa nouvelle blancheur.
Du balconnet de ma chambre je suis le spectateur attentif de la résurrection progressive de cette silhouette emblématique qui, depuis tant de siècles, perce l'horizon de la ville.

CIMG0914


Tournant le dos à la fenêtre, une bouffée d'émotion me submerge : je vois soudain ce petit chat en peluche qui, posé sur mon chevet, ne m'a pas quitté depuis ma tendre enfance.
Il en est ainsi de certains objets-jalons de notre existence, on n'en a plus conscience tant ils sont intégrés à notre quotidien, et voilà qu'un jour, sans crier gare, inopinément, ils vous sautent en pleine mémoire et vous poignent le coeur par leur présence obstinée qui relie notre passé à aujourd'hui, formant un lien en basse obstinée à toutes les différentes phases de notre itinéraire ; chapitres de vie tellement chaotiques, que sans ces témoins pérennes, nous pourrions penser que nous avons vécu plusieurs fois.
Le petit chat sans nom mérite bien son histoire, la voici :

CIMG0910

Il y a bien longtemps, j'avais deux ans et vivais à l'époque à Madrid, maman m'amena à un goûter d'enfants chez, excusez du peu, la Marquise ou la Comtesse, je ne sais plus, de la Vega.
Mes yeux furent littéralement fascinés par cette petite peluche appartenant à l'un des enfants de notre noble hôtesse, je revis encore avec acuité l'indicible ravissement qui me fit entrevoir, incrédule et pantelant, les portes du paradis lorsque  la voix de miel de la dame, qu'il me semble entendre encore, me dit en un français parfait : "tiens, prends-le, il est à toi, tu pourras l'emporter après le goûter".
Pour l'emporter, je l'ai emporté c'est sûr ; la petite boule si douce m'a suivi de Madrid en Béarn, de Bordeaux à Casablanca et veille à présent, à Paris,  sur mes insomnies où mes lourds enfoncements dans les sommeils chimiques.

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Bien sûr, le pelage de l'animal a beaucoup perdu de son lustre et de sa densité, une légère lèpre laisse voir par endroits la trame du tissu élimé.
D'autres transformations ont également compromis sa beauté d'origine ; du premier changement j'en fus l'auteur ; la queue de celui qui aurait pu s'appeler Mistigri, s'il avait eu un nom, épousait joliment la sphère de son corps ; très peu de temps après son adoption, avec mes petits ciseaux à bouts ronds je m'évertuai à en découdre les points afin de libérer l'appendice. Amateurs de psychanalyse à deux sous, prière de vous abstenir de tout commentaire...
Miracle de la mémoire des formes, la petite queue, bien que libre et flottante, a gardé sa courbe d'origine. Serait-ce un organe génétique, clamant haut et fort sa forme originelle, véritable ADN du souvenir ? Voici de l'eau apportée au moulin des délires identitaires de notre délicat gouvernement actuel.

Au cours des jeux et des promenades, celui qui aurait pu s'appeler Minou, s'il avait eu un nom, perdit ses yeux, je me rappelle qu'ils étaient en verre vert avec un iris en amande d'un noir profond. Qu'à cela ne tienne, maman lui broda une belle paire d'yeux d'une manière tellement définitive que ce sont toujours les mêmes qui vous fixent avec ironie et tendresse.

La moustache déserta le petit museau du greffier de pacotille, l'ingéniosité maternelle trouva une utilité à une bobine de fil de pèche (en Béarn le fil de pèche était appelé "pitre") pour redonner du flair à celui qui aurait pu s'appeler, pourquoi pas, Anatole, s'il avait eu un nom ; il les arbore toujours crânement malgré le désordre très peu naturaliste de leur implantation.

J'ai eu bien sûr d'autres peluches, et celles, nombreuses, car on m'en a offert fort tard, qui subsistent sont à Charmes dans l'univers récessif de la "chambre de Benoît" ; cependant celui qui aurait pu s'appeler Figaro, s'il avait eu un nom, en est la plus ancienne. C'est l'esquif qui a survécu à tous les naufrages.

Un jour, il faudra que le Chat connaisse Charmes. 

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Commentaires
H
@ Eva : Et pourtant...<br /> <br /> Je te dirai.
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E
...pour le petit chat oui, mais pour les barboteuses je ne te crois pas ! :-))
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H
@ Eva : figure-toi mon amie, que je me rappelle mes barboteuses en "liberty" et à smocks.<br /> <br /> Le petit chat est définitivement à Charmes. Fin d'un itinéraire
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E
Si ce petit chat ne t'a pas quitté depuis l'âge de deux ans, tu ne laisseras personne dire que les chats ne sont pas fidèles ! :)<br /> <br /> C'est tout de même assez rare de se souvenir avec précision d'un moment de ses deux ans...<br /> <br /> "Mes yeux furent littéralement fascinés par cette petite peluche appartenant à l'un des enfants de notre noble hôtesse, je revis encore avec acuité l'indicible ravissement qui me fit entrevoir, incrédule et pantelant, les portes du paradis lorsque la voix de miel de la dame, qu'il me semble entendre encore, me dit en un français parfait : "tiens, prends-le, il est à toi, tu pourras l'emporter après le goûter".<br /> <br /> C'est assez rare, mais... tu es un être rare bien sûr !
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N
Même les animaux en peluche en ont un.... Nicolas-petit-ours-russe aussi... je l'ai confié à mon fils, comme on transmet un héritage précieux... il n'en a fait qu'une bouchée!! (mon fils...de l'ours)<br /> Cécile
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