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Le blog de HP
6 août 2007

Anges-Eventails

Périple vacancier de Bordeaux en Béarn et Pays Basque.

Incursion dans une Pamplona torride et sommeillante ; le fameux café "Iruña", l'un des plus anciens d'Europe et que fréquentait Hemingway, éblouit sans aveugler ; il n'y a pas, parmi les boiseries de sombre acajou sculpté, de dorures étincelantes, mais des gris argentés ou des argents enfumés, doucement irisés de tons de lichens ou d'algues. Les miroirs sombres brouillent les reflets des rares consommateurs en entités immatérielles et multiplient en abîmes opalescents les globes des luminaires.

Dehors, l'astre de feu abolit les reliefs, c'est l'heure du paseo et la vieille tradition se perpétue : des dames âgées et délicieusement fardées papotent avec componction sur les bans publics , sur l'un deux quatre anciennes beautés aux jolies robes estivales forment une brochette toute de douce malice. L'une s'évente mollement, et, m'approchant, je les apostrophe en Castillan : "Comment, Mesdames, l'une seule d'entre vous manie encore les grâces de l'abanico.?" L'oeil de lapin andalou que je me compose doit produire son effet, d'une même voix les trois autres vestales de la Tradition me disent  "mais nous aussi avons les nôtres dans notre sac à main ".
Mon air peu convaincu me fait taxer de saint Thomas, et hop, d'un seul geste les éventails sont extirpés de leur contenant et aussitôt mûs dans des va et vient coquets, désuets et cependant éternels.
La plus audacieuse me fixe droit dans les yeux et me dit " Vous savez, Monsieur, l'éventail est dépositaire de tout un langage, je pourrais vous l'apprendre", puis, malicieuse : "il faudra que vous reveniez".
Les quatre sourient heureuses d'avoir retenu une attention.
Moi, j'ai le coeur qui fond d'attendrissement.

Genève, il y a de cela sept ou huit ans : Une élégantissime Genevoise, certainement septuagénaire, envisonnée de la toque au manteau promène dans la vieille ville un air diffus de contentement tranquille ; je l'aborde : "Bonjour Madame, ne vous ennuyez-vous pas à Genève ? "
Regard très doux sous la légère poudre bleutée du fard à paupières : "Mais nullement, Monsieur, puisque j'y suis née".
Son sourire très suave me bouleverse.

La vie vous écrit parfois de fort jolies pages...

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Commentaires
M
je comprends mieux et je comprends tout court...Merci pour vos explications sereines et pourtant bien évidentes.<br /> <br /> à bientôt,<br /> <br /> Michel
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H
@ Michel Giliberti :<br /> Cette dame m'a émue car elle me rappelait un monde sans peur, celui que j'ai effleuré dans mon enfance, un monde où la bonne éducation et les bonnes manières n'étaient pas "réactionnaires" mais un art de vivre, un monde où le paysan était fier du produit de ses terres et où l'ouvrier pouvait penser que l'ascenseur social donnerait une chance à leur progéniture.<br /> L'espoir existait même si les misères et les heurts étaient sous-jacents.On y croyait, cette dame doit vivre une existence en ordre et doit bien recevoir avec des mets choisis et un plan de table parfait.<br /> Elle ne doute certainement pas, mais sans arrogance, parce que c'est comme ça et que c'est bien...<br /> Une bulle de sérénité dans un monde déréglé.<br /> P.S. Je ne suis pas mysonéiste...
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J
Ce qui me touche beaucoup dans ton billet, c'est l'infinie nostalgie qui s'en dégage. Emouvants visages que ceux de ces femmes héritières de traditions en voie de disparition, dépositaires d'un langage que leur mort éteindra peut-être définitivement. Je te remercie de t'être fait leur porte parole et de nous avoir fait partager, le temps de quelques mots, cette infinie douceur qui précède, dit-on, le grand saut vers l'irrémédiable.
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M
es-tu sûr que ce n'était que le maniement d'un éventail qu'elle voulait t'enseigner cette brave "duègne" ? Je crois que tu plais beaucoup aux vieilles !! bsous quand même de la sadique Mitcha !
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M
Un sourire très suave parce qu'elle a été charmée par ton oeil andalou (pourquoi de lapin ?)et tu t'es vu dans son regard ombré.<br /> Sept ou huit ans ? c'est l'an prochain qu'elle sera septuagénaire ...
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