La fin d'un monde
( Jean-Christophe retrouvera ici les traces d'une partie de l'itinéraire que nous avons suivi de concert )
Il gisait sur le bord de l'étang, son poids dans la main était infime mais son agonie m'a alourdi le coeur ; la mort, quelle qu'elle soit m'est scandaleuse.
Le dernier souffle du béjaune, ténu et quasiment inperceptible ouvre le passage de la petite vie duveteuse vers l'ailleurs.
Je déposai l'oisillon sur la branche basse d'un charme afin de le rendre, pour un certain temps, à son univers aérien.
Sensiblerie me direz-vous ? N'en croyez rien ; avec cette disparition un certain regard est irréversiblement aboli.
Plus aucun être vivant ne verra le monde comme le voyait notre fragile trépassé ; ses yeux étaient à lui, rien qu'à lui, et le peu qu'ils ont capté au cours de cette brève existence est englouti à jamais dans le néant.
C'est ce néant qui est injustifiable, ce petit volatile n'avait-il donc aucune raison d'être ?
Je suis unique, tout comme toi, tout comme vous.
Oui, je suis le centre du monde, parce que mes yeux sont au centre du monde et que je n'ai pas d'autre moyen de l'appréhender.
Pour autant que vous me soyez proche, vous ne saurez de moi que ce que mes pauvres mots vous livreront partiellement et maladroitement, ou aussi, ce que la capitalisation de vos expériences, par le jeu de comparaisons qu'elles établissent, vous permettront de déduire.
Nous sommes tous murés dans notre unicité, beaucoup d'ouverture et de "goût des autres" peut rendre plus flous les contours de cette forteresse qui nous emprisonne à jamais.
C'est chèrement payer notre singularité.
Chaque mort est la fin d'un monde, chaque départ est une conscience évanouie.
Qu'en reste t'il ? Qu'en advient'il ? Y a t'il un sens à tout cela ?
Sereines et alanguies, ces vaches à la puissante dolence attendent leur mort programmée. Elles ne le savent pas.