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Le blog de HP
13 juin 2007

Glissements

Année 1870, le luxe quelque peu tapageur de la fête Impériale s'échoue contre une guerre qui pour n'avoir pas été évitée sonnera le glas d'une époque.

Adieu bulles de vin de Champagne riant de leur ennivrante effervescence dans la coupe bourgeoise et largement ouverte qui a désormais supplanté l'aristocratique flûte.
Adieu carnavals dispendieux et débridés, bals traversant les nuits contellées de l'éclat des fastueuses cocottes croqueuses de fortunes.
L'Impératrice Eugénie oublie le luxe si ample de ses crinolines et, longue silhouette noire, entame une fuite sans retour d'un Paris insurgé bientôt assiégé et affamé.

L'heure est grave.

Naît alors de ce désenchantement un nouveau courant artistique où, sous la forme académique se dessine une fêlure, un nouveau romantisme qui voile d'une ombre de tristesse, d'une demi-teinte de nostalgie les couleurs les plus brillantes.
Oh, ce n'est pas encore le nihilisme qui gangrène les classes pensantes de l'Empire Autrichien lui aussi blessé à mort, non, pas encore, c'est tout simplement la marque d'un délitement de la joie de vivre, de l'effritement des valeurs qui avaient construit une époque.

J'en veux comme premier témoin le tableau de Gervex Rolla

De la plume de Musset, en 1833, naquit un magnifique ouvrage en vers peignant le malheur de Jacques Rolla, gentilhomme en fin de fortune qui partagea le bien qui lui restait en trois sommes égales pour se donner trois années de sursis flamboyant. Il se supprima au terme des trois années riches en excès et dépravations multiples, mais au moins mourut-il libre.
Henri Gervex, peintre Parisien (1852-1929) illustra vers 1870, dans le cadre de son époque, l'oeuvre de Musset qui s'assortissait si bien avec ce néo-romantisme.

rolla

Au centre du tableau resplendit le corps nu et parfait d'une splendide courtisane, ce n'est pas une femme fatale, elle n'induit en rien le destin de Jacques Rolla, elle est le vice sous son jour le plus séduisant, elle est aussi un être-objet, utilisé, mais nullement profané car nimbé d'une sorte de candeur immanente.
Le corps assoupi et glorieux s'est abandonné au sommeil, la paupière bistre témoigne encore des désordres de la nuit, la somptueuse chevelure éparse est comme un courant intarissable où s'abreuvent les fièvres les plus intenses.
Nous sommes dans un immeuble Haussmanien meublé en pastiche Louis XVI comme il était alors de mise dans les confortables intérieurs bourgeois.
Dans un affriolant désordre les vêtements jetés au sol glorifient encore la nudité du corps qui a habité les volants d'un jupon à tournure et le carcan d'un corset de velours pourpre.
Le dernier jour de la dernière année abolit la lumière du quinquet, le Paris blafard de l'aube est la dernière vision que Rolla emportera dans son néant d'homme libre et désenchanté.

Ce tableau-manifeste de la vanité et de la vacuité est comme un précieux flacon recélant dans sa richesse un venin capiteux et fatal.

D'un effet beaucoup moins tragique est le tableau de cet autre artiste français James Tissot qui nous présente l'entrée à un bal ou une réception mondaine.
Cependant, sous les lustres étincelants et la richesse des toilettes, nous allons le voir, le ver est déja dans la pomme.

tissot

La fête bat son plein en ce jour de 1878, sous les multiples lumières, les plantes vertes, les habits noirs des hommes et le grenat profond de la tenture, apaisent ou peut-être exaltent les débauches d'ors.
Le bruissement sourd des conversations parvient presque jusqu'à nos oreilles, le maître de maison compassé et solennel se prépare à accueillir les nouveaux arrivants, sa moustache dédaigneuse fait pendant au harnachement opulent et quelque peu vulgaire de sa femme.
Chenu et coiffé d'un toupet d'un autre âge, l'invité s'avance vers le salon ; à son bras une ravissante jeune femme se retourne légèrement en arrière avant de franchir les limites du vestibule et pénétrer dans le salon. Quelle intense tristesse dans ce regard éperdu avant d'affronter l'arène de toutes les vanités satisfaites, de toutes les médisances distillées sous le fard de l'amabilité.
Etrange jeune femme, victime expiatoire offerte en sacrifice aux dieux de l'apparence.
Tout en elle est "décalé" pour utiliser le terme actuel. Sa radieuse jeunesse est apariée à une confortable maturité, la robe d'un jaune irradiant se prolonge et se perd dans les mouvances ondoyantes d'une traîne  compliquée et sinueuse ; en tendant l'oreille, on peut percevoir le frôlement de la soie sur le tapis.
L'éventail, démesuré selon les règles de l'époque brassera l'air lourd de la réception mais ausi abritera les baîllements réprimés de l'ennui.
Improbable toilette d'un soir, les complications inhérentes au style "tapissier" de l'époque ne dévoilent ni la gorge ni les bras comme il en était l'usage en soirée. Alors est-ce une jeune fille ? Mais alors que fait-elle "dans le monde", et au bras d'un barbon ?
Il était également d'usage pour une femme du monde d'apparaître "en cheveux", le chapeau étant réservé à la rue ou aux courtes visites, or nôtre mystérieuse personne est chapeautée. Aucun bijou non plus, comme une jeune fille attendant le mariage.
Drôle de mélange de retenue juvénile et de désinvolture mondaine !
Le dernier regard vers l'extérieur maîtrise son désarroi et semble implorer de l'aide, discrètement.

La fête bat son plein en ce jour de 1878, mais le ver est dans la pomme...

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Commentaires
M
oui, vas-y dans la dentelle, le satin et la soie, mais dépêche-toi, car si la TVA passe à 24,6, tu ne pourras plus t'en payer ! Sus aux soldes !
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V
Merci, Henri-Pierre; merci pour partager ta connaissance avec nous.<br /> A bientôt.
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A
@ Béné<br /> Bof, c'est toujours la même histoire et c'est toujours les mêmes qui trinquent ! Finalement, je crois que, moi aussi, je vais finir par faire dans la dentelle !<br /> <br /> PS : Je dois confesser que Quatre-vingt-treize de Victor Hugo aura été longtemps mon livre de chevet ! Ce livre est souvent d'un réalisme étourdissant ! Encore une oeuvre qui mériterait d'être tirée de l'oubli !
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B
A Kevouest : un chouan ressuscité?<br /> En tout cas, si les résultats inattendus du 2ème tour des législatives sont notre Commune à nous, souhaitons qu'elle finisse mieux que la 1ère!!
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L
il m'a glissé entre les dents
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