Laissez parler les petits papiers
Ce billet ressemblera à un catalogue de papiers peints, mais un folio transversal qui raconte quelques bribes de cette maison construite en 1824, dernière année du règne de Louis XVIII et première de celui de Charles X.
Vous vous doutez bien que cet aspect incertain, entre deux époques, n'est pas sans me plaire, moi qui n'aime rien moins tant que les cases et les balises.
Traces du passé
A l'exception des murs de la salle de billard, seuls ceux des chambres sont habillés de papier ; bien sûr, ceux de la première époque ont disparu, mais à la faveur des travaux d'installations électriques, un petit salon du rez-de-chaussée dont il a fallu sacrifier le tissu posé en 1872 a laissé apparaître quelques vestiges du revêtement d'origine, un magnifique fond bleu de roi guilloché de rinceaux or en relief. J'en ai conservé quelques fragments.
Un placard a gardé en son intérieur un panneau orné de rinceaux organisés en bandes verticales qui fleure bon l'extrême fin du dix-neuvième siècle.
.
.
.
.
.
.
.
Art Nouveau
Comme énoncé plus haut, le billard a gardé un papier du début du siècle ; sur un fond vert vase des étangs, de longues tiges sinueuses, si caractéristiques de la Belle Epoque, supportent des nénuphars aux tons sourds, irréels et poétiques, évocateurs d'eaux troubles et mortifères.
La texture de ce papier, épaisse et en relief pastiche les revêtements de cuir repoussé du Seizième siècle.
En sursis
Les revêtements muraux de trois chambres témoignent des goûts quelque peu conventionnels des années cinquante et soixante ; nous ne les garderons certainement pas, soit parce qu'ils sont trop dégradés, soit parce qu'ils ne sont pas vraiment en adéquation avec l'atmosphère de la maison ; ne les plaignez cependant pas trop, ces raffinements n'ayant aucun caractère d'urgence dans la hiérarchie de la ruineuse programmation des travaux, il est probable que leur mort annoncée se fasse dans des délais comparables à ceux des couloirs de la mort Etats-Unisiens...
La "chambre des mouches" ainsi nommée par les ébourrifants rendez-vous que s'y donnent les colonies dudit insecte deux fois l'an présente des rinceaux au graphisme très linéaire. Motif et teintes grises se la jouent, sans grande conviction d'ailleurs, style gustavien.
La "chambre rose" dont votre sagacité a déja deviné la couleur s'orne de bouquets encadrés de guirlandes disposées en médaillons. L'ensemble est conventionnel mais offre un petit aspect "chambre de grand'mère" assez attendrissant ; nos prédécesseurs récompensaient celui de leurs nombreux enfants qui s'était illustré par quelque action d'éclat ou de mérite en l' autorisant à passer une nuit dans cette chambre.
La chambre sans nom, la nôtre en l'occurence, est parsemée de roses aux tiges raides très "jolie Madame" du début des années soixante. Vous conviendrez avec nous que dans ce temple d'austère virilité, elles ne sauraient s'autoriser à fleurir trop longtemps encore.
.
.
.
.
.
.
.
Palimpsestes
Je ne vous présenterai pas la "chambre aux iris" qui a déja fait, ici, l'objet d'un billet ; le papier qui en recouvre les murs est certainement celui qui me charme le plus, je pense pouvoir en sauvegarder, et en trichant un peu, trois pans.
Très Art Nouveau, les iris parmi lesquels volent de très naturalistes oiseaux laissent aparaître au gré de leurs déchirures des fragments très Second Empire où de belles végétations bleues émergent du gris-plomb du fond.
Un treillis bleu et blanc au dessin menu couvre les murs de la petite garde-robe qui précède la pièce.
.
.
.
.
.
.
.
Sentimentaux et protégés
La "chambre des coquelicots", clame avec ses bouquets tricolores la fierté d'un patriotisme tout neuf tout beau après les compromissions et les humiliations de l'Occupation.
La "chambre des petits châteaux" transporte dans l'univers idéal et doux d'une enfance à la Comtesse de Ségur.
Une infinité de roses assez naturalistes se détachent sur un fond clair et apaisant de la "chambre des roses".
Ces trois témoins des vies antérieures de cette maison participent de l'âme des lieux et m'émeuvent, ils seront préservés.
.
.
.
.
.
.
.
Voilà, le catalogue est fermé, la nuit est installée, seul le ronronnement de mon ordinateur anime la torpeur des lieux, cette nuit même la chouette effraie a décidé de se faire discrète.
Je vais éteindre les lumières avant de me coucher, mais avant, je fais un clin d'oeil à la lune friponne qui me nargue entre la paroi et le lanternon du perron.
Demain, très tôt nous quittons Charmes pour Paris.