Alpha-Oméga
Alpha
Un nouvel itinéraire vient de débuter ; Angel s'apprête à fouler les pétales et les épines que la vie essaimera sur son chemin.
Pour l'instant, les plantes des pieds menus s'appliquent à prendre les forces nécessaires pour affronter son destin ; en tout cas Angel peut être sûr qu'il y aura des épaules pour le reposer de ses détresses et des sourires pour partager ses bonheurs.
Je suis très heureux de l'idée de Sophie et Julien d'avoir pensé à m'offrir ces empreintes ; ce billet ne montrera pas d'autres images de l'Ange Angel, vous pourrez à loisir l'admirer sur le blog de Sophie maman qui figure dans mes liens.
La particularité qui m'a semblé la plus remarquable chez ce nouveau né sont ses mains, elles sont longues et fines comme c'est rarement le cas chez les nourrissons. Angel modèle l'air sans cesse de l'envolée de ses mains, comme s'il voulait donner forme aux pensées et aux impressions qui habitent son jeune cerveau.
Je suis sûr qu'Angel saura exprimer l'impalpable.
Les yeux bleus d'Angel voyagent avec une lenteur appliquée, concentrée, je lui prédis une vie d'attention et de réflexion.
J'ai voyagé, en regardant Angel, dans mon enfance ; je lui ai amené de Paris un sorte de petit chandail surmonté d'un capuchon qui le rend soudain frère des lutins des Babar de mes premières lectures.
De ces nains malicieux de Babar chez le Père Noël, mes pensées se sont reportées sur la double page où je voyais des mondes insoupçonnés à l'âge où le bruit des roues d'une automobile sur la route vous ouvre des horizons infinis.
Encore maintenant, à la vue d'une vaste étendue, la phrase incantatoire qui s'impose encore à moi est celle du Voyage de Babar : "voilà la mer, la grande mer bleue".
Ces mots ont toujours été le sésame des évasions de mon imaginaire errant.
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Bienvenue mon petit bonhomme, je t'aiderai à ouvrir le plus de portes possibles, autant qu'il me sera donné de t'accompagner.
Nous voyagerons...
Oméga
Une vie s'ouvre, d'autres arrivent à leur terme, le cycle inexorable qui se moque des passions et abolit les volontés va son rythme de parques.
Germaine est partie à l'âge de quatre-vingt quatre ans, un cercueil de chêne s'est définitivement clos sur son élégance un rien tapageuse, elle aimait le rouge et les pulls pailletés.
Elle s'en est allée rapidement, discrètement, sans laisser au temps le temps de ternir son brillant, après la mise en terre à Enghien nous avons filé sur Charmes.
Je pensais à Germaine et, dans la maison, flottait encore le sourire un peu vague dont elle avait laissé l'empreinte, elle n'est plus mais son sourire flotte encore, vaporeux et indécis.
Entre Enghien et Charmes j'apprenais aussi la fin imminente de Martine, une amie encore jeune qui depuis sept ans luttait contre un cancer.
Médecin, elle était lucide et sans illusions.
Elle est morte aujourd'hui aux premières heures.
Martine ne voulait pas mourir, le matin de son dernier jour elle pleurait encore car elle ne pouvait se résoudre à la fin inéluctable.
Qu'y a t'il de pire que d'arriver à l'échéance sans résignation, le désir de vie accroché opiniatrement aux dernières forces ?
J'ai vu Martine pour la dernière fois le 24 janvier à l'hôpital de Puteaux, zone des soins palliatifs. Elle était coiffée d'un turban bleu dissimulant la chute des cheveux ; elle ne marchait plus mais arborait de jolis chaussons en velours gris plomb ornés d'un ruban plat, comme Minnie ; je le lui ai dit, elle a esquissé un pauvre sourire, péniblement, et a ajouté "petite souris".
Ces petits pieds voués au néant n'ont pas fini de me hanter.
Martine, lors de son dernier séjour à Charmes nous avait offert le livre des recettes de bien vivre de Marie Laforêt, j'ai envie de le retrouver mais ne suis pas certain d'en avoir encore le courage.
Entre l'Alpha et l'Oméga
Des naissances, des morts.
Balancier fatal entre ris des aubes et opacités des nuits sans rémission.
Et l'homme qui en rajoute, ajoutant le désespoir à la désespérance !
Fierté d'être d'un pays qui dit non à l'horreur absolue de la mise à mort programmée des hommes en inscrivant dans sa constitution la mise hors la loi de la peine capitale.
Ah, si cette image pouvait n'être bientôt qu'un témoignage révolu et méprisable des temps barbares. Ces poings crispés sur la terreur et l'incompréhension, ces poings qui essaient désespérément de retenir la vie sont donc sans effet sur certains esprits indignes ?
Mais quand vous pensez que la plus "grande démocratie" du monde applique encore cette peine des civilisations balbutiantes qui ne savent pas élever la justice au dessus de la vengeance !
Vivre, dans la dignité plongés dans l'horreur de notre monde.
Je sais qu'il est de mauvais ton dans nos cercles "pensants" et "évolués" d'évoquer cet Abbé Pierre qui lui aussi vient de s'éteindre, mais je ne le remercierai jamais assez de l'héritage de cette phrase :
"Il faut aimer les portes car elles sont le lieu où nul ne reste ; le lieu par où l'on passe, par où l'on part, par où s'en viennent toutes rencontres. Il faut haïr les portes fermées, fermées aux rencontres et fermées aux départs."
Porte des bonjours à Angel, porte des adieux à Germaine et à Martine. Porte qui s'ouvre à vous et par laquelle vous venez et j'arrive.
Lors du dernier dîner de Charmes, hier soir, la surréelle et tremblante lueur des candélabres dessinait un halo, écharpe diffuse de mon paysage affectif où les présents et les absents, les nouveaux venus et les trop tôt partis ajoutaient du brillant à mes yeux.