Cieux
Marrakech.
Cieux divers. D'hiver aussi, les nuits sont fraîches.
Cieux rieurs, soleil intense ; valse-hésitation des vêtements, on brûle sous le soleil, on se dépouille de sa veste ou de son blouson ; zone d'ombre, la fraîcheur vous saisit et vous vous recouvrez.
Lyautey avait dit que le Maroc est un pays froid chauffé par le soleil, cela me semblait un truisme incongru pour ne pas dire sot. Je me rends compte soudain de la justesse de ces mots.
Ciel d'azur, ténuité de l'air, le tableau-poncif des remparts rouges et des palmiers crissants d'un vert éclatant se détache sur la toile de fond des cimes enneigées de l'Atlas qui nous semblent si proches.
De quel bois sont construits les touristes vomis par les cars FRAM ? Ils restent moulés dans des chemises estivales et colorées, le "pantacourt" sémillant sur des mollets chaussetés de blanc; la casquette améruicaine vissée sur le crâne comme s'ils avaient décidé qu'un Maroc frais n'existait pas.
Alliance du chaud et froid, lourdeur de soi et sourires enchanteurs.
Cieux gris, plombés, pleuvra t'il ou non ? les ruelles de la médina vont se couvrir de boues adipeuses qui maculeront vos souliers. Ou peut-être ne peuvra t'il pas. Caprices, instabilité et incertitudes de saison.
Mais la couleur brouillée du ciel, dès lors que la pluie n'est pas venue ou qu'elle est est passée, se strie de zébrures de lumière, les plantes qui courbaient l'échine sous la violence de l'ondée sourient de toutes leurs nuances au soleil revenu.
Ici, il n'est pas de condamnation aux intempéries.
Restent au sol, comme des larmes après un chagrin, les feuillages pourpres des bougainvillées dévastés.
Rires et pleurs, attentes et angoisses, le métronome des émotions oscille aux humeurs du temps.
Cieux de la nuit claire, cieux d'Orient comme il n'en existe qu'ici, les croissants de lune ou la complète révélation de l'astre de parchemin s'entoure de myriades d'étoiles, on dit que plusieurs sont mortes depuis longtemps et que leur brillance nous parle encore d'ailleurs révolus que seule l'imagination peut atteindre.
Fantômatique et altière la silhoutte d'un palmier se pare des mystères des rêves de l'enfance. Les mille et une nuits vous caressent toujours d'un souffle léger et inattendu. Juste quand vous n'y pensiez plus.
Pourquoi dans les nuits de nos âmes surnage t'il toujours la certitude d'un jour nouveau ?
Place J'mâ-El-Fnâ.
La nuit grouille de conteurs et d'étranges danseurs/danseuses, des hommes scintillants de strass et frissonnants de franges, le visage voilé et qui se déhanchent en cadence au son des "gambri" et des "derboukas" . Etrange permissivité équivoque d'un Islam vraiment plus humain et complexe que ce que notre monde radicalisé ne le montre.
Avant que l'Irak ne soit embrigadé, puis martyrisé, dans les zones des marais, ces princes de l'ambigu y étaient une institution respectée.
Armés de longues lignes finissant, non pas par un hameçon, mais par un anneau, un cercle de payeurs d'une maigre obole essaie de se saisir de la bouteille de fanta ou de coca-cola ainsi gagnée.
Choeur immémorial des mendiants aveugles dont les psalmodies sonnent, tragiques, comme une prière qui ne peut être exaucée.
Les étals de grillades, salades ou ragoûts d'escargots brouillent et unissent ce monde hétéroclite et chamarré des volutes des fumées de leurs founeaux.
Les lampes d'acétylène, dans leurs éclairages contrastés vous créent sous les yeux et en vivant des Latour ou des Caravage.
Lointaine, habillée de lumière diffuse, pérenne et mystique, la Koutoubia chante à intervalles réguliers les cantilènes de ses muezzins, les autres minarets répondent. Marrakech n'est plus qu'une toile d'oraisons.
L'Homme.
Activité des hommes.
Dérisoires et si grands.
Qui pourra un jour dire son âme ?