Hantise
Il n'est pas pensable pour moi d'habiter un endroit neuf, je ne m'impose pas dans un lieu, j'aime m'insérer dans un continuum, être un maillon d'une chaîne, et, de ce fait je n'ai jamais vécu que dans des lieux "chargés", des endroits qui ont une âme.
Mon sens de la propriété est très relatif, je suis convaincu qu'on ne possède jamais rien, nous sommes simplement dépositaires pour le temps qui nous est imparti.
Cette certitude me fait vivre légèrement les lieux auxquels je suis le plus attaché, ils étaient avant moi et seront après ; moi- même j'étais ce que je suis avant qu'ils ne m'échoient, et leur perte, même douloureuse émotionnellement, ne changerait rien de moi.
A ce titre, les seuls aménagements qui me conviennent sont les restaurations, j'ai de grandes réticences à apporter des modifications qui, même si elles apportent un confort supplémentaire, enlèvent une partie de l'âme des lieux.
Ainsi, à Charmes, il est une chambre que j'affectionne particulièrement, c'est la "chambre aux iris" ainsi nommée en référence au papier art-nouveau qui tapisse ses murs.
bibelots désuets et tapisseries blessées
Dans cette chambre j'y mets mon esprit en vacance, en errance et de cette vacuité pleine me viennent les sensations délicieuses des rêves éveillés.
Je dors dans cette chambre quand je suis seul, la seule activité à laquelle je m'y sois jamais livré est la lecture.
Cette pièce est le refuge de mes langueurs post-prandum et le hâvre de paix de mes fuites de la société quand la maison est très habitée, je m'y extrais, je m'y récupère, mes yeux parcourent et donnent vie à chaque objet, je m'abîme dans les motifs du papier-peint dont les manques laissent voir une tapisserie antérieure du milieu du dix-neuvième siècle.
Je m'imprègne de tout et tout m'investit, je sens les tiges flexibles des iris se ployer sous la brise et je perçois les volètements des oiseaux qui animent le décor.
Ma vue va vers la fenêtre que j'ai habillée d'un léger organza moiré azur et or ; s'y encadrent les grands arbres du parc, je me fonds en eux qui participent de tout avec leurs racines qui plongent si bas et leur ramure qui s'élance si haut. Les arbres chargés d'années sont aussi un lien mémoriel.
Ma chambre vit, la nature vit, je suis comblé et si la félicité était possible, j'en serais alors bien près.
Si, après mon passage sur terre, je devais hanter un lieu, ce serait bien cette chambre aux iris.
D'ailleurs je crois que j'y pense...