Vestige de jours
Au hasard d'un rangement, ce document, surgi du passé et du fond d'un tiroir depuis longtemps fermé, me jaillit en pleine mémoire. C'est un très ancien feuillet, détaché d'un carnet de commandes de bistrot.
Compte tenu du support, je devais encore à l'époque, habiter à Bordeaux.
Une signature oubliée donne vie à deux phrases qui submergent mon esprit dans un sentiment de douce nostalgie.
Jamais la nostalgie n'est si envahissante, obsédante que quand on ne peut la rattacher à rien de précis. Quand seule la musique du moment enfui flotte, insinuante et obsédante dans les zones subliminales de notre entendement.
Ces réapparitions vous envahissent de leur parfum suranné semblable à celui des violettes ou des pensées prisonnières des pages de livres naguère lus.
Suavité doucereuse des momies d'émotions passées.
Le temps a effacé de ma mémoire l'auteur de ces mots qui aujourd'hui me bouleversent.
J'essaie de décrypter le paraphe qui, hermétique, reste lourd de mystère. Il ne surnage du passé que l'émoi amorti de ce qui a été.
Non, je ne me souviens plus de l'auteur, qui pouvait'il bien être ?
Quelqu'un qui a du m'aimer ; l'ai-je aimé ?
Si nous nous sommes aimés, de quelle sorte ? L'amour peut revêtir tellement de formes ; séduction intellectuelle, reconnaissance de deux champs d'esprit parallèles mûs par une quête identique, conjonction de deux solitudes, embrasement des sens vécu jusqu'à quel registre, quelle intensité ?
Rencontre fortuite où hasard et éphémère nous jouent la comédie de l'éternité ?
Ou quelle autre forme encore ? Aucune amour ne ressemble à une autre, elles restent toutes uniques et ne peuvent en aucun cas servir de référence ou d'exemple pour celles à venir.
L'auteur de ces lignes m'a t'il offert une plage de sérénité ou de paix ? M'a t'il fait pleurer ou rire, ou bien les deux...
Ai-je attendu dans la crainte impatiente ; m'a t'il, lui, espéré dans la fièvre et l'anxiété ?
L'un a t'il été pour l'autre un repos de l'âme ? Combien de temps ?
Je retranscris les deux phrases surgies du néant, oubliées au fond d'un tiroir.
Je les trouve très belles, pas vous ?
"On ne méprise pas ceux qui ont du vice, mais tous ceux qui n'ont pas de vertu, alors que la vertu est l'appât du vice."
"Pour un coup de dent j't'arrache les yeux, fais moi une place dans ton linceuil, quand y'en a pour un, y'en a pour deux."
Les feuilles mortes, pas si mortes que ça, continuent leur ronde imprécise et sans but dans les méandres paresseux des émotions enfouies.
La vie, la vie qui passe...