Langueurs provinciales

La nuit est tombée très tôt. Les arbres immémoriaux, enveloppés d'insondable, se sont repliés sur les secrets dont ils sont dépositaires.

Avez vous jamais entendu les secrets des arbres ? Il est vrai qu'il faut savoir leur prêter oreille...
Ceux qui sont au bord de l'étang s'enivrent de leur reflet narcissique caressé par les branches des saules, ils sont gravides des errances des carpes et des trajectoires mortelles des brochets, les surfaces dormantes leur disent les luttes sans merci que les vases recèlent. L'étang est un monde bourgeois, miroir lisse en surface et luttes intestines au fond ; miroir reflétant les soleils et les nues, strié  de libellules azuréennes et couvrant les drames que les vases putrides gorgées de feuilles marcescentes étouffent afin de ne les jamais révéler. Sauf si vous écoutez les arbres.

Et les aulnes qui peuplent l'île de l'étang... Croyez vous que leur éloignement les rend inaudibles ? Mais non, écoutez les et vous aurez dans la tête les espoirs alternés d'angoisses des hérons qui les ornent de ces nids robustes où leurs nichées auront peine à triompher des martres ou des rapaces. Les aulnes savent tout de la fragilité d'une vie et de l'obstination toujours la donner.
L'ombre des aulnes tapissée de hautes herbes coupantes et lancéolées sait aussi que les nids de canards sauvages posés à même le sol vivent les mêmes drames. La vie n'est jamais sûre, ni en haut, ni en bas.

Et toutes les autres espèces qui embullent la maison dans une voûte verte ou une cage de branches dramatiquement décharnées selon les saisons, ils racontent aussi la tragique précarité des destins animaux ;  dailleurs le grand hêtre pourpre s'est fait le témoin de la lutte sans merci accomplie à son pied :  la  petite dépouille du furet s'était figée dans l'effroi d'une mort venue du ciel ; le rapace a laissé au sol un cadavre pathétique la gueule ouverte aux crocs désormais dérisoires, tout comme les griffes brandies au bout d'une patte raidie par la mort.

Mais j'écoute encore les arbres, ils peuvent vous dire aussi les temps révolus, les allègres vanités qui ont bâti cette maison de maître des forges pompeusement nommée château, les réceptions qui on dû faire vibrer l'air de musique et de lumières du temps des splendeurs d'antan, toutes les palettes des émotions heureuses et malheureuses qui ont imbibé ses murs au point de leur avoir donné une âme.

Ne restent que les vieux arbres pour témoigner de tout celà. Me feront'ils aussi une place dans leur mémoire ? M'insérerai-je dans ce continuum ?

Pour l'heure je suis seul, seul avec ma chienne endormie, à l'abri des amis et membres de la famille qui occupent le rez de chaussée tout à leurs mots croisés, billards ou conversations ; j'irai tout à l'heure les rejoindre, mais je m'accorde encore quelques minutes d'attention à toutes les vibrations qui de branche en branche et de pierre en pierre me racontent tant.

Comments

[Henri-Pierre]

Mais tu es un oiseau Stanislas, sur les cimes de mon affection.

[Stan]

Après une harassante semaine de salariat, je dînais hagard lorsque me revient à l'esprit ton SMS contenant l'adresse de ton blog. Je décidais d'en faire mon dessert. Je l'ai dévoré avec bien plus d'appétit que ma pitance confectionnée à la hâte. Quel plaisir de te lire !

J'ai décidé de mettre mon premier commentaire sur cette très belle page. J'aime aussi les arbres et j'admire avec quelle poésie tu contes leurs mélodies. Merci pour cette délicieuse promenade.

Je rêve souvent que je suis un oiseau. Je pense que cette nuit sera parsemée de haltes sur les cimes de tous ces magnanimes compagnons.

Stanislas

[Henri-Pierre]

Essaie de me convertir à Mylène. Je ne cherche que la compréhension.

[giorgino]

Il y a des fans de Mylène Farmer parmi ceux qui te lisent ;-) c'est un très beau texte Henri-pierre. Très intime, n'est ce pas ?

[Henri-Pierre]

Merci Chris, je n'ai pas d'autre mot.